Romans, Souillé
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Chapitre 6 – Des nouvelles de Gu Mang

Traduction anglaise par seal

Traduction française par Tian Wangzi


« Et Gu Mang……

Comment va-t-il? »


Comme s’il était dans un rêve, il tourna la tête et vit une figure familière.

À la lumière de la lune, sous les fleurs de Tung de la terrasse Fei Yao, il le regarda silencieusement.

Cependant, cette personne n’était pas Gu Mang — Bien sûr, ce n’aurait pas pu être lui. Après avoir repris ses esprits, Mo Xi se moqua de lui-même au plus profond de lui, se demandant bien à quoi il avait pu penser.

Celui qui avait parlé était un homme à l’apparence douce assis dans un fauteuil roulant de bois, avec une robe blanche simple drapée sur ses épaules. Une mince couverture gris rosé recouvrait ses jambes handicapées.

Mo Xi était légèrement surpris : « Doyen Qingxu? »

Le doyen Qingxu, Jiang Yexue. C’était le frère aîné de Yue Chenqing.

Contrairement à Yue Chenqing qui ne se souciait de rien dans le monde, Jiang Yexue menait une vie pauvre et difficile. Sa mère était morte jeune, et plus tard, parce qu’il était déterminé à épouser la fille d’un pécheur, il avait été mis à la porte du clan Yue.

À ce moment, ni lui ni sa fiancée n’avaient beaucoup d’argent ou de possessions, alors leur cérémonie de mariage fut très simple et peu compliquée. À cause de la pression du clan Yue, seules quelques personnes avaient insisté pour y assister — parmi elles se trouvaient Mo Xi et Gu Mang.

Mo Xi leur avait fait cadeau d’un petit terrain. Gu Mang avait jeté un regard sur l’acte de propriété et avait eu le souffle coupé. Il avait ensuite dit à Jiang Yexue : « Mon frère, je suis pauvre, je ne peux pas te donner quelque chose comme ça. » Tout le monde avait ri, et au milieu des éclats de rire, Gu Mang avait gonflé ses joues, et sur sa suona[1], il avait joué pour eux l’air de « Un phénix cherche sa partenaire[2] ».

Mais les bonnes choses ne durent jamais pour toujours. Jiang Yexue et sa femme s’étaient engagés dans l’armée ensemble, et les flammes de la guerre sont sans merci, prenant d’abord sa femme, puis le dérobant de ses deux jambes.

Mo Xi n’avait aucune idée comment cet homme avait pu endurer tout ça. Par chance, Jiang Yexue était doux à l’extérieur, mais il était incroyablement fort intérieurement, et éventuellement il avait retrouvé le moral. Il s’était trouvé un poste de doyen à l’académie du perfectionnement, enseignant la voie de la raffinerie[3]. Mais ce poste avait fâché de manière inattendue son père biologique. Le clan Yue était expert en raffinerie, alors Yue Juntian avait demandé à ce que l’académie du perfectionnement renvoie Jiang Yexue de son poste d’enseignant—

« Ce fils qui n’est pas filial a déjà été exclu du clan Yue, il ne porte même plus notre nom, comment ose-t-il avoir le culot de profiter de l’expertise de notre clan pour gagner sa vie! »

Le maître de l’académie ne pouvait pas changer la décision de Yue Juntian, alors il n’eut pas d’autre choix que de renvoyer poliment Jiang Yexue.

Mo Xi avait observé ce qui s’était passé à l’époque, et il avait décidé de lui trouver une place dans son conseil militaire. Mais qui aurait deviné qu’avant qu’il puisse ouvrir la bouche, le maître de l’académie du perfectionnement avait supplié désespérément Jiang Yexue de revenir le jour suivant. Cette fois, qu’importe la puissance de la voix du clan Yue, c’était inutile. Le maître de l’académie répétait : « Un vieil ami m’a sincèrement avisé sur ce problème. »

Quant à ce vieil ami plus puissant et influant que Yue Juntian qui n’avait jamais révélé son identité, il restait un des mystères de Chonghua encore à ce jour.

Jiang Yexue était cruellement conscient que le clan Yue le détestait et détestait même l’apercevoir. Dans le passé, il ne serait jamais apparu dans ce genre de grande fête, c’est pourquoi Mo Xi était aussi surpris de le voir.

« Pourquoi es-tu venu? »

« Je… » Jiang Yexue annonça : « Je suis venu voir Chenqing. »

« …… »

Lorsque Jian Yexue était parti, Yue Chenqing était encore très jeune, et maintenant, il ne se rappelait plus vraiment ce qui était arrivé dans le passé. Mais en tant que grand frère, il ne pouvait pas ne plus se soucier de son petit frère.

Même si Yue Chenqing ne le reconnaissait pas en tant que frère, il ne lui rendait pas la vie aussi difficile que le reste du clan Yue.

« Aussi, je voulais te voir. » Jiang Yexue fit une pause et sourit : « Quand j’ai regardé aux alentours, je ne t’ai pas vu du tout. Je me demandais si c’était parce que c’était trop bruyant pour toi. Alors, je suis sorti sur la terrasse pour voir, et apparemment, j’avais bien deviné. Tu es vraiment sorti prendre l’air. »

« Si tu avais besoin de moi, tu aurais pu trouver quelqu’un pour me passer le message. Tu n’avais pas à venir toi-même. Tes blessures ne devraient pas être exposées au froid, je vais te ramener. »

« Ça va, ça ne me fait plus mal depuis longtemps, maintenant. » Jiang Yexue continua : « Je suis venu pour te remercier. Chenqing est naïf et inexpérimenté. Merci de t’être occupé de lui ces deux dernières années. »

Mo Xi resta silencieux un moment, puis répondit : « Ton frère est jeune, et ce n’est pas une mauvaise chose s’il veut s’amuser. Et puis, après avoir passé deux ans au loin, il a gagné en maturité. »

Jiang Yexue sourit gentiment en disant : « Vraiment? Il ne t’a pas causé de problèmes? »

 « ……Juste un peu, mais il m’a tout de même beaucoup aidé. »

Jiang Yexue soupira en hochant la tête : « Bien, c’est bien. »

Pendant un moment, tout était silencieux, et les pampilles de la terrasse Fei Yao flottaient lentement dans la douce brise.

Soudainement, Jiang Yexue prit la parole : « Xihe-jun, tu as longtemps été absent, et je présume que tu ne sais pas tout ce qui s’est passé dans la capitale impériale. »

Il avait toujours été un individu intelligent, transparent et très compréhensif.

 « C’est trop bruyant dans le hall du palais, je n’ai pas envie d’y retourner pour l’instant. S’il y a quelque chose que Xihe-jun veut savoir, n’hésite pas à me le demander. »

« …Ce n’est pas comme s’il y avait quelque chose que je voulais savoir en particulier. » Mo Xi tourna la tête pour regarder vers la capitale impériale, une scène pittoresque de la lune au-dessus de la ville alors que les lumières des dizaines de milliers de maisons brillaient comme des étoiles tombées, « Je n’ai pas de proche famille dans la ville. »

Jiang Yexue savait qu’il était gêné, alors il le regarda sans presse, hochant seulement la tête.

Après un moment, Mo Xi se racla la gorge, puis, comme prévu, il commença à s’informer : « Comment vas-tu ces dernières années? »

Jiang Yexue sourit : « Plutôt bien. »

« Et Sa Majesté? »

« Tout va selon ses plans. »

« La princesse Mengze? »

« Elle va bien. »

Mo Xi : « ……..Alors, c’est bien. »

Une lumière d’une couleur incertaine passa dans les yeux de Jiang Yexue : « Y a-t-il autre chose que tu aimerais savoir? »

« Non. »

Mais après un court instant, Mo Xi termina la dernière gorgée de vin dans son verre, regarda le paysage nocturne brillant et finalement, il ne put s’empêcher de demander.

« Et Gu Mang…….Comment va-t-il? »

Le regard que Jiang Yexue lui lança était comme s’il soupirait « Ah, après avoir autant tourné autour du pot, tu le mentionnes finalement. » Il répondit : « Comme tu peux t’y attendre, il ne va pas très bien. »

« …… » Mo Xi resta silencieux un moment, puis hocha légèrement la tête. Il lui semblait que sa gorge était sèche. « C’est ce que je me disais. »

« Si tu veux, je crois que tu devrais aller le visiter. Il est dans ce genre d’endroit qui profite des gens depuis si longtemps, il… a beaucoup changé. »

Mo Xi fut momentanément sous le choc, et pendant un instant, il ne montra aucune réaction. Puis, il fronça les sourcils et demanda : « Où est-il? »

Jiang Yexue ne s’attendait pas à cette réaction, et abasourdi, il écarquilla légèrement les yeux : « Tu ne le sais pas? »

« Qu’est-ce que je devrais savoir? »

Jiang Yexue : « ……. »

Aucun d’eux ne parla après ça. Soudainement, des éclats de rire et des cris enthousiastes se firent entendre en provenance du hall, et la lumière projeta les ombres des silhouettes brouillées et emmêlées des hommes et des femmes enivrés par les espaces entre les cadres des fenêtres.

Mo Xi reprit ses esprits et écarquilla grand les yeux : « Il n’a pas pu être envoyé à… »

« … Ça fait deux ans maintenant qu’il a été envoyé à la Villa du jardin Luo Mei… » Jiang Yexue ne s’attendait pas à ce que Yue Chenqing n’ait pas révélé accidentellement quelque chose d’aussi important. Résultat, il devait l’annoncer lui-même à Mo Xi, et ça le rendait un peu mal à l’aise.

Le visage de Mo Xi perdit instantanément toute couleur.

La Villa du jardin Luo Mei……

Quel genre d’endroit était-ce? C’était un lieu de plaisir, un bordel!

Un endroit où en une nuit, ceux qui y sont vendus se font vider de leur chair, leur intérieur dévoré jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien.

Ils l’avaient vraiment envoyé dans cet endroit?

Ils l’avaient envoyé… l’avaient envoyé…

La pomme d’Adam de Mo Xi s’agita. La première fois, il n’avait pas réussi à dire un mot, mais la seconde fois, il dit avec grande difficulté : « …Est-ce que Wangshu-jun a décidé ça? »

Jiang Yexue fit une pause, puis soupira en hocha la tête : « Comme tu le sais, Wangshu-jun le déteste. »

Mo Xi sombra dans le silence, tournant soudainement la tête. Il contempla la distante scène de la nuit devant lui et n’ajouta pas un seul mot.


Depuis que Gu Mang avait été renvoyé à Chonghua il y a deux ans, il avait imaginé toutes sortes de possibilités pour son sort.

À l’époque, il ne savait pas quel genre de punition attendait Gu Mang, et il croyait que s’il était enfermé dans la Divine Prison, il pourrait passer le voir une ou deux fois, puis lui cracher des mots satiriques à la figure. Si Gu Mang devenait estropié, il ne sympathiserait pas avec lui, et peut-être même qu’il le pousserait pour le faire tomber.

Même s’il y avait déjà eu de la tendresse entre eux, après toutes ses années, la haine s’était accumulée à une telle profondeur qu’il leur était impossible de se réconcilier.

La seule situation où Mo Xi pouvait s’imaginer partager calmement une flasque de vin avec lui, c’était à un cimetière, avec Gu Mang six pieds sous terre, et lui sur sa tombe. Peut-être qu’il pourrait alors lui parler comme dans le bon vieux temps alors qu’il plaçait un bouquet de pivoines rouges[4] devant la pierre tombale.

Au moins, pour le meilleur ou pour le pire, ils suivraient alors leurs chemins séparés une dernière fois sans se disputer.

Mais depuis longtemps, Gu Mang était le genre de personne qui était devenu expert pour apporter à Mo Xi tout ce qui était inattendu. Mo Xi ne croyait pas que même cette fois, ce serait la même chose—

La Villa du jardin Luo Mei.

Ces quelques mots torturaient Mo Xi alors qu’il les retournait encore et encore dans son cœur, essayant d’en soustraire le moindre réconfort.

Mais en fin de compte, il réalisa que tous ses efforts étaient futiles, et il était incapable d’en trouver le moindre plaisir; au contraire, il était incroyablement dégoûté et choqué.

Il ne savait pas d’où provenaient ce dégoût et cette rage. Ça ne devrait pas satisfaire tout le monde s’il récoltait enfin ce qu’il avait semé?

« …… » Mo Xi posa ses coudes sur la balustrade de fleurs gravées. Il essaya de replier le bout de ses doigts, mais ils étaient gelés et engourdis. Il tourna la tête en direction de Jiang Yexue, mais en observant ses traits, il semblait que sa vision se brouillait.

Sa tête se mit à tourner, et son estomac se serra.

Gu Mang, il avait été envoyé à la Ville du jardin Luo Mei.

Cela faisait déjà deux ans.

Mo Xi sentait qu’il devrait rire à s’en tordre les côtes en ce moment, c’est ce qu’il devrait faire. Seulement alors ça correspondrait à la profonde haine qu’ils se vouent, qui pénétrait leur sang et leurs os. Alors, il essayait vraiment de tordre ses lèvres et de montrer les dents dans une tentative de montrer le moindre signe de plaisir.

Au final, tout ce qu’il réussit à produire fut un seul ricanement froid qui s’échappa légèrement des craques de ses dents serrées.

Une image de sa première rencontre avec ce visage délicatement illuminé par le soleil passa devant ses yeux, une paire d’yeux noirs lui souriant : « Salut, Mo-shidi. »

Une autre image du brillant et splendide Gu Mang après s’être enrolé dans l’armée sembla passer. Dans le brouhaha animé de ce groupe d’amis bruyants, il tourna la tête et fit un clin d’œil à Mo Xi, la longue pointe de ses yeux légèrement relevée, puis se courbant en arches douces, il rit à gorge déployée. 

Il se souvenait aussi des mots lorsqu’il avait été employé commandant en chef—

Les mots qu’il prononçait en souriant de manière frivole : « Viens, enrôle-toi sans crainte dans Wangba, tu grimperas dans les rangs et prospèrera tous les ans! »

Les mots qu’ils criaient parmi les montagnes de cadavres et les océans de sang : « Allez, venez! Ceux qui n’ont pas encore jeté la serviette, reprenez-vous et relevez-vous! Je vous ramènerai tous à la maison! »

Ainsi que ceux qu’il avait dits lorsqu’il était agenouillé obstinément devant l’empereur dans la salle de trône, le suppliant de ne pas enterrer ses hommes trop vite : « J’aimerais demander l’aide de guérisseurs pour identifier les corps… Je vous en supplie humblement, ce n’est pas des efforts en vain. Chaque soldat mérite d’avoir son nom gravé sur sa tombe. Votre Majesté, je ne veux pas que mes frères soient incapables de revenir à la maison une dernière fois.

Ils m’ont reconnu comme leur commandant, et qu’ils soient des hommes ou des fantômes, je veux tous les ramener. Je le leur ai promis.

Ils ne veulent pas l’honneur d’une cérémonie funèbre, ils veulent juste le nom qu’ils auraient dû avoir. »

Et enfin, arrivant au bout de sa patience, ses déchirants hurlements de rage dans le hall du palais—

« Est-ce qu’ils méritaient la mort juste parce qu’ils étaient des esclaves? Ils ne méritent pas d’être enterrés proprement juste parce qu’ils étaient des esclaves?!

Ils ont donné leur sang et ont perdu leur vie, comme les autres! Ils sont déjà sans père ni mère, et à la fin, ils n’ont même pas de véritable statut. Pourquoi les vies perdues par le clan Yue, le clan Mo et le clan Murong deviennent des héros, alors que mes frères sont empilés dans un même trou, hein?! Pourquoi?!! »

C’était la première fois que Gu Mang avait pleuré devant le hall du palais.

Il n’avait pas pleuré en s’agenouillant, mais il avait pleuré en s’accrochant au sol, le dos courbé, se recroqyevillant en boule.

Il venait de rentrer d’une bataille, les taches de sang sur son corps n’avaient pas encore été nettoyées, son visage était entièrement couvert des traces de fumée et de feu, ses larmes laissaient des marques marbrées là où elles tombaient.

Ce dieu de la guerre qui avait toujours représenté l’espoir sur le champ de bataille, dans le hall du Palais doré, était battu à en retrouver ses basses origines, comme un corps sans nom.

Le hall était rempli d’officiers civils et militaires habillés proprement et respectueusement, et plusieurs se détournèrent par dédain devant ce pauvre général roturier, ses vêtements sales, l’odeur de sa souillure intolérable.

Il s’était étouffé avec ses sanglots et avait hurlé son deuil, comme une bête agonisante. 

« J’ai dit que je les ramènerais…

Ayez pitié, laissez-moi remplir ma promesse… »

Mais il savait probablement que c’était inutile.

Au final, il avair cessé de supplier, et aussi de pleurer.

Il ne cessait de répéter encore et encore, sa vision sur le point de s’assombrir, comme s’il murmurait pour les âmes vagabondes : « Je suis désolé, c’est ma faute. Je ne mérite pas d’être votre commandant.

Je ne suis qu’un esclave, après tout… »

Lorsque ces phrases tombèrent goutte à goutte dans sa mémoire, Mo Xi eut l’impression que sa tête allait exploser. Il ne put s’empêcher de soutenir son front avec sa main, le visage couvert par l’ombre de son poignet, alors que tout lui semblait glacial.

Son cœur était froid et lourd.

Jiang Yexue dit : « Xihe-jun… est-ce que ça va? »

Il ne répondit pas. Seulement après un long moment, un faible filet de voix sans émotion, plutôt froid, s’échappa de l’ombre : « Oui. Pourquoi ça n’irait pas? »

Jiang Yexue le regarda en soupirant : « Ça fait combien d’années qu’on se connaît, et tu essaies encore d’avoir l’air fort devant moi? »

Mo Xi : « …….. »

Les cloches de cuivre accrochées aux coins de la corniche sonnèrent, et les minces pampilles jaunes dansèrent dans le vent.

« Le nom de Gu Mang et le tien sont mentionnés ensemble depuis longtemps. Vous avez étudié ensemble à l’académie du perfectionnement, vous vous êtes battu côte à côte sur le champ de bataille, et plus tard, vous avez été assignés officiers ensemble. » Jiang Yexue continua : « Ces jours-ci, on te place encore sur un piédestal alors qu’il est tombé dans la poussière. Pendant plusieurs années, vos réputations étaient égales, mais maintenant, des Jades jumeaux célébrés du pays, il ne reste que toi, et je crois que ça ne te fait pas du tout plaisir. »

Il hésita, puis tourna la tête pour faire face à Mo Xi.

« Et puis, il a déjà été ton ami le plus proche. »

Mo Xi baissa ses longs cils épais, et après un moment, il répondit : « …Quand j’étais jeune, j’étais aveugle. »

« Mais après sa trahison, tu croyais encore qu’il avait des raisons de lutter, tu y as cru pendant si longtemps. »

« J’étais sérieusement aveugle, » répondit Mo Xi, observant le verre dans ses mains. Il y restait une goutte de vin, imprégnée de la couleur du coucher de soleil. Il ne voulait plus continuer cette conversation.

« Le vent se lève. Doyen Qingxu, rentrons dans le hall. »

Pendant plusieurs jours après avoir appris où se trouvait Gu Mang, Mo Xi était constamment agité.

Il avait à l’origine essayé de réprimer les émotions qu’il ne devrait pas avoir, mais avec le temps, son agitation empira. 

Mo Xi savait qu’il souffrait d’une maladie du cœur.

Et que seule la Villa du jardin Luo Mei avait l’antidote.

Finalement, alors que le crépuscule tombait sur une autre journée, un carrosse tiré par des chevaux avec des rideaux d’un bleu profond comme la nuit aux fenêtres avança lentement vers la partie nord de la capitale impériale.

Mo Xi était assis dans le carrosse, les yeux fermés au monde extérieur, et même si les rideaux étaient tirés et qu’il était seul à l’intérieur, il maintenait une position assise droite, son visage, beau au point d’être considéré un luxe, ne montrait aucune expression, et une aura sérieuse et froide se répandait autour de lui, suffisante pour faire peur à n’importe qui. 

« Mon seigneur, nous sommes arrivés. »

Mo Xi ne descendit pas immédiatement du carrosse, mais leva plutôt le rideau. Se cachant dans l’ombre, il jeta un œil à l’extérieur.

C’était présentement l’heure la plus animée de la nuit, et les portes qui faisaient face à la rue étaient encadrées de deux rangées de neuf lanternes impressionnantes illuminées spirituellement, en forme de prunes d’hiver, éclairant la plaque rouge horizontale au-dessus de la porte —

La Villa du jardin Luo Mei. 

« Les vents glacials de l’aube entraînent la plus pure neige
Mais il ne reste au matin que les flaques de la fonte. »

Contrairement aux bordels habituels, une large majorité des résidents à l’intérieur étaient des prisonniers de guerre obtenus par Chonghua. Après avoir détruit leur cœur spirituel, ils étaient maintenus captifs, cachés à la vue et utilisés comme escortes.

« Mon seigneur, allez-vous entrer? »

Mo Xi lança un bref regard sur les environs et remarqua plusieurs connaissances, et pour couronner le tout, c’était le genre de personnes qu’il détestait fréquenter – les jeunes riches socialistes. Alors, il fronça les sourcils et dit : « Par la porte d’en arrière. »

Le carrosse s’arrêta donc devant la porte de derrière de la Villa du jardin Luo Mei.

« Tu peux partir, tu n’as pas à attendre ici. »

Après avoir remis ses instructions au cocher, il resta sur place et observa un instant les environs, puis d’un petit saut sur la pointe des pieds, il grimpa sur la corniche, s’enfonçant silencieusement dans la nuit.

Avant d’arriver à la Villa, il avait déjà observé les plans, alors ce n’était pas difficile pour lui de trouver les résidences des demoiselles et des messieurs. Très rapidement, il arriva à un pavillon fleuri avec une cour. Il s’enroula dans son manteau et entra dans le pavillon par la porte principale comme un client régulier, passant devant les rangées de chambres, les portes closes peintes de rouge écarlate.

« La sainte prêtresse des flammes de Wanku, Sha Xuerou »

« La servante des flammes de Wanku, Qin Feng »

« Le général adjoint de l’armée de gauche du Liao, Jiang Tangzhen »

« L’officière de l’armée de gauche de Xueyu, Sha Xuerou »

Sur le côté de chaque porte se trouvait une petite plaquette de bois inscrite des détails du pays d’origine, du poste et du nom de l’occupant. Toute leur histoire exposée à la vue de tous, facilitant la tâche des clients qui avaient de la rancœur et de la haine envers les pays ennemis pour trouver le candidat qui correspondait le mieux pour déchaîner leurs frustrations.

S’il y avait déjà un client qui s’amusait à l’intérieur, les mots sur la plaquette étaient en rouge, et s’il n’y avait pas de client, les mots étaient en noir.

À la Villa du jardin Luo Mei, les nobles étaient des dieux. Tant que ça les rendait heureux, ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient.

Le sourire de ces hommes et de ces femmes, leurs mots doux, leur corps, et même jusqu’à leur vie, tout était offert à la merci des nobles.

Le regard de Mo Xi balaya l’endroit, ses vêtements flottant alors qu’il traversait les rangées de corridors. L’insonorisation ici était terrible, et le son des affaires passionnées pouvait trop bien se faire entendre. Ses durs sourcils se froncèrent encore davantage, son rythme cardiaque s’accélérant— Où est Gu Mang? Il avait passé devant des douzaines de chambres, mais il ne voyait toujours pas l’écriteau.

Il grimpa au deuxième étage et continua ses recherches.

Dans un coin désolé, Mo Xi s’arrêta enfin.

Un écriteau en bois sombre, gribouillé d’une fine écriture.

« L’officier traître de Chonghua, Gu Mang »

Dans tout le pavillon, c’était le seul écriteau contenant le mot « Chonghua ».

Le regard de Mo Xi sembla peser des tonnes en tombant sur le petit écriteau. Pendant une fraction de seconde, il lui semblait qu’un feu s’allumait dans ses yeux noirs, se consumant lentement. Mais presque instantanément, la lumière s’éteignit.

Il leva la main, l’arrêtant lorsque ses jointures n’étaient qu’à quelques centimètres de la porte.

Soudainement, il réalisa que les mots sur l’écriteau de Gu Mang, ils étaient rouges.

Il avait un client.


L’auteur a quelque chose à dire :

Mangmang arrive demain[5]~~~

Mo Xi : Si je dois le voir dans ce genre d’endroit, je préfère ne pas le voir.

Mangmang : Tais-toi!!! Je veux apparaître sur scène!!! Je le veux!!! Allez!!! Je le veux—!

Mo Xi : ……D’accord, tout ce que tu veux, je te le donnerai. Arrête de faire ton spectacle.


[1] Un instrument du folklore surtout utilisé dans la province de Shandong

[2] Titre original : 鳳求凰  Cette chanson romantique se joue originellement sur le guqin

[3] Désigne l’utilisation de la chimie pour le raffinement d’armes et d’équipement spirituel

[4] Dans le langage des fleurs en Chine, la pivoine représente l’envie de rester, les vrais sentiments qui restent inchangés, et l’espoir qu’un amour soit réciproque

[5] Dans la publication originale, les mises à jour étaient quotidiennes

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