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Chapitre 48 – Le jeune tigre

Traduction française par Tian Wangzi

Mu HanZhang attendit dans le seul restaurant de la ville pendant deux shichen avant que Jing Shao revienne le chercher, l’air un peu déconfit.

« Qu’est-ce qu’il y a, tu n’as pas réussi à le convaincre? » Mu HanZhang poussa vers lui le bol de riz et demanda à Xiao Er d’apporter deux autres plats chauds.

En voyant Hao DaDao à l’instant, Jing Shao avait été enthousiaste, alors il avait voulu le convaincre de le suivre. Mais contre toute attente, l’homme avait dit qu’il devait couper son porc, et qu’il pourrait discuter seulement plus tard. Il faisait très chaud au milieu de l’été, et comme il approchait midi, Jing Shao craignait que sa WangFei ne fasse une insolation, alors il lui avait demandé de l’attendre au restaurant. Il avait lui-même attendu presque deux shichen avant de pouvoir entrer chez Hao DaDao pour discuter. Il pensait bien le connaître, c’était un descendant d’un général célèbre avec de grandes capacités militaires et un excellent leadership en art de la guerre, alors rester dans ce petit village de montagne à tuer des porcs devait être déprimant. Mais qui aurait su qu’en lui faisant part de ses intentions pour le solliciter, l’homme ne montrerait qu’une expression qui semblait dire «  Mais pourquoi tu te mêles autant de mes affaires? »

« Je vis bien en ce moment à tuer des porcs et à vendre de la viande, pourquoi j’irais affronter la mort sur le champ de bataille? Je n’irai pas, je n’irai pas! » En s’exclamant ainsi, Hao DaDao l’avait poussé à la porte de sa boutique.

« Si tu veux un bon général, tu dois naturellement être patient, » lui dit Mu HanZhang en lui versant un verre d’eau. « Les troupes prendront quelques jours pour contourner la chaîne de montagnes DaHang, on peut rester ici encore quelques jours, il n’y a pas de presse. »

Jing Shao prit le verre et le vida d’une traite : « Cette eau est bonne et bien rafraîchissante! »

Mu HanZhang lui versa un autre verre, lui expliquant que l’eau n’avait pas été réchauffée, qu’elle venait directement du puits derrière le restaurant. Froide avec une certaine douceur, elle était délicieuse. « J’ai pris une chambre dans cet établissement. »

« Ah? » Jing Shao prit une bouche de nourriture et leva la tête vers lui : « Jun Qing, est-ce que tu es sûr que je ne pourrai pas le persuader? »

« Pour épouser une femme, il faut trois lettres et six cadeaux de mariage. C’est la même chose pour recruter un homme talentueux. Tu dois être sincère et avoir une stratégie. » Mu HanZhang but lentement son verre d’eau. « Mais il y a un problème. »

« Quel problème? » Jing Shao fit la moue, réfléchissant intensément.

Dans sa vie précédente, un magistrat de comté insensé et cupide avait été transféré ici en l’an 19 de l’ère HongZheng, et il se souciait peu des habitants ordinaires. Un officier a intimidé la jeune fille d’un voisin de Hao DaDao. Il était si en colère qu’il a découpé à mort cet officier avec son couteau à couper le porc. Le magistrat a ordonné son arrestation, et lorsque les villageois sont venus pétitionner sa libération, le magistrat les a fait chasser à coups de fouet. Le chaos s’en était suivi un moment, et les officiers ont même tué par accident deux innocents, déclenchant une révolte populaire.

À l’époque, Jing Shao avait été frustré de son attaque contre le roi de Huainan. Il ramenait ses troupes à la capitale lorsqu’il avait rencontré cette révolte populaire. Il avait utilisé ses troupes pour calmer la situation, puis le magistrat du comté avait été tué devant le peuple en colère. À l’époque, Hao DaDao avait entraîné des villageois qui n’y connaissaient rien en arts martiaux pour confronter les soldats et les officiers, et comme Jing Shao appréciait ses talents, il avait demandé un décret impérial pour offrir l’amnistie à ce soldat rebelle en l’enrôlant sous son commandement.

Seulement, actuellement, ce magistrat n’avait probablement pas encore passé l’examen impérial.

Mu HanZhang dit légèrement : « Les draps dans cet établissement sont très vieux, j’ai peur qu’il n’y ait des puces. »

« Ah? » Jing Shao resta stupéfait un moment avant de comprendre que sa WangFei lui faisait un rapport des difficultés.

Devant son apparence stupéfaite, Mu HanZhang ne put s’empêcher d’étirer les lèvres : « Après le souper, allons chercher du tissu à étendre sur le lit pour la nuit. »

« Pourquoi ne pas laisser Xiao Er changer le lit pour un neuf? » Jing Shao fronça les sourcils. Ce genre d’auberge brisée dans un petit village de montagne allait évidemment être rempli de puces. Que devrait-il faire si elles mordaient la peau lustrée comme le jade de sa WangFei et laissaient des marques enflées?

« Il est dangereux de faire l’étalage de sa richesse dans ce genre d’endroit. Il était d’ailleurs inapproprié pour toi de donner de l’argent à ce chasseur aujourd’hui. »  Mu HanZhang le conseilla en étirant la main pour lui tendre quelques plats.

« Il y a souvent des marchands qui viennent collecter des chevreuils, alors on n’est pas les plus riches. » Jing Shao prit son bol et engloutit son contenu en ne laissant même pas une miette, puis il repoussa encore son bol vers sa WangFei.

Mu HanZhang le dévisagea, puis remplit encore son bol : « Xiao Er a dit que pour changer le lit, il faut une chaîne de pièces[1], mais aller chercher de nouveaux draps à la boutique de tissus à l’opposé du village ne coûte que 30 pièces. »

*tousse tousse…* En l’écoutant, Jing Shao s’étouffa sur les grains de riz. Après avoir discuté un long moment, Jun Qing détestait gaspiller de l’argent!

Il n’y avait plus d’étalages au marché, alors les deux hommes allèrent à la ferme de textiles pour acheter deux draps. La plupart des personnes qui venaient au marché provenaient des montagnes aux alentours, et ils devaient repartir tôt pour rentrer chez eux avant la noirceur. Alors, au crépuscule, les rues étaient désertes, même les étalages de nouilles étaient fermés. Ils n’avaient pas le choix, ils ne pouvaient que retourner à l’hôtel pour manger le souper dispendieux.

Les chambres de l’hôtel étaient très sales. Jing Shao regarda le lit devant lui, se disant que même en étalant les nouveaux draps qu’il tenait à la main, sa WangFei ne voudrait probablement pas s’y coucher. Alors, il le traîna sur le toit et étendit les draps sur une couche de petites pierres, et acheta une nouvelle couverture à Xiao Er à haut prix.

« Il fait froid la nuit dans les montagnes. Sans couverture, tu vas certainement geler. » Jing Shao enveloppa sa WangFei dans la couverture. « L’hôtel fait ainsi ses affaires, et il n’y en a pas d’autres aux alentours, alors on n’a pas d’autres options. » Et ils ne manquaient pas d’argent, alors pourquoi sa WangFei voulait de moins en moins dépenser de l’argent?

Bien enveloppé dans la chaude couverture et utilisant le bras de Jing Shao comme oreiller, Mu HanZhang leva la tête vers le vaste ciel au-delà des montagnes : « Après la fin de cette guerre, je veux faire encore des affaires. »

« D’accord, dans deux ans, je t’emmènerai à Jiangnan, les affaires y sont bonnes. » Jing Shao sourit en serrant l’homme dans ses bras. « Pourquoi apportes-tu autant d’importance à l’argent, soudainement? »

« Selon Xiao Yuan, depuis les dernières années, il y a de graves problèmes au ministère du Revenu, et j’ai peur que le trésor national soit déjà vide. Si tu veux garder ta position, l’argent est indispensable. » Mu HanZhang soupira. La veille, RuiWang leur avait fait parvenir une lettre disant que la corruption dans l’armée avait déjà pris de l’ampleur, et il croyait aussi que Yong ChangBo et le quatrième prince étaient impliqués dans cette histoire. Si le quatrième prince avait mis la main sur l’argent des dernières années, ça allait être problématique.

« On peut s’inquiéter de tout ça plus tard. » Jing Shao caressa le sommet de la tête de l’homme dans ses bras. « Aide-moi plutôt à trouver vite une façon de convaincre Hao DaDao. »

L’ancêtre de Hao DaDao était un grand général de la dynastie précédente. Il dirigeait les troupes comme un dieu, ce qui avait grandement impressionné le fondateur de la dynastie. Après la chute de la dynastie précédente, l’ancêtre de la famille Dao a désobéi à la cour impériale, prenant possession de la chaîne de montagnes DaHang en tant que roi. Seulement le village fortifié avait décliné jusqu’à la génération de Hao DaDao, et maintenant son travail constituait seulement à tuer des cochons.

Mu HanZhang réfléchit un moment : « En t’écoutant, son ancêtre était contre la cour impériale. Si tu veux le convaincre de rejoindre la cour impériale maintenant, je crains que ça ne soit pas facile. Laisse-moi t’accompagner demain, je penserai à un moyen. »

Les deux hommes dormirent sur le toit cette nuit-là. La douce brise fraîche des nuits d’été soufflait doucement, mais ils étaient très confortables sous la couverture.

Le jour suivant, en arrivant à la boucherie, quelqu’un les arrêta. Surpris, Jing Shao se plaça immédiatement devant Mu HanZhang pour le protéger.

« Gongzi, tu as dit hier que si je ramenais le petit tigre, tu me donnerais dix fois plus d’argent. Tu m’as trompé? » C’était effectivement le chasseur de la veille. Et après avoir parlé, il leur tendit un panier en bambou.

Jing Shao ouvrit le panier seulement pour voir une chose noire s’agiter au fond : « C’est le petit tigre? »

« Encore des tromperies? » Le chasseur pinça la chose dans le panier. « Je suis allé à l’aube dans la montagne, je ne sais pas par quoi les autres petits tigres ont été emportés, mais celui-là est tombé dans un puits de boue et a survécu. »

En voyant la boule noire agitée, Jing Shao ne la voulait plus, mais Mu HanZhang avait déjà acheté une serviette à un étalage aux alentours pour envelopper la petite chose, alors il ne put que payer l’homme pour le renvoyer.

La serviette retira la boue qui n’avait pas séché, découvrant le museau du petit tigre tout sale. Même s’il était encore sale, on voyait bien que c’était un tigre. Il mesurait environ un chi de long, et avec ses yeux à moitié ouverts, il s’exclamait sans énergie : « Ouaf~ »

« Oh! Un petit tigre! » La femme plantureuse de Hao DaDao sortait avec un gros bloc de viande, et en entendant les cris du petit tigre, elle s’aprocha avec intérêt.

Mu HanZhang la regarda : « Dasao[2], serait-il possible de prendre de l’eau chaude dans votre résidence pour d’abord laver ce petit tigre? »

« Oui, oui. Je viens de faire bouillir le poil du cochon. Venez avec moi. » La dame plantureuse semblait très heureuse, invitant Mu HanZhang à la suivre à l’intérieur.

Mu HanZhang lança un regard à Jing Shao alors qu’il suivait la dame plantureuse en portant le tigre, faisant signe que Hao DaDao était dans la cour à tuer des cochons : « Va d’abord jeter un œil à l’étalage, je vais laver ce petit tigre et je reviens. »

Hao DaDao aperçut Mu HanZhang et fronça les sourcils. Il déposa son couteau et s’avança vers eux.

Même si la femme plantureuse était féroce, son travail était précis. Elle versa rapidement un bassin d’eau chaude, puis déposa le petit tigre dans l’eau : « Allez, au bain! »

« Ouaf! » Le petit tigre était terrifié. Il allait lutter pour sortir, mais soudainement, il sentit l’odeur du sang de porc sur ses bras. Il renifla avec son petit museau, et plissa des yeux pour se fixer sur l’endroit où du sang s’était retrouvé. Il commença à lécher, et plus il léchait, plus il ouvrait sa gueule sans dents pour mordiller ce bras épais. Sa gueule était plus petite, et peu importe ses efforts, il n’arrivait pas à encercler ce bras avec sa gueule. Il oublia complètement qu’il était immergé dans l’eau.

Devant ses mouvements adroits, Mu HanZhang demanda : « Dasao, as-tu déjà élevé des chats, des chiens ou ce genre d’animaux? »

« Ah ah, j’ai grandi en aimant ces petites choses, » répondit la femme plantureuse en riant. Ce gongzi était gentil et doux, même sa voix était raffinée et élégante, ce qui lui donnait à elle l’air encore plus féroce. Elle discuta avec Mu HanZhang tout en lavant le petit tigre, lui racontant comment elle avait suivi son père pour vendre son art au marché, ou comment elle avait choisi son mari grâce à un concours.

« Assurément, Hao-Dage a dû vaincre les autres concurrents pour gagner la belle épouse? » Mu HanZhang sourit en regardant Hao DaDao emmener du porc dans la cour pour la troisième fois.

« Pff, lui? » La femme plantureuse lança un regard à son mari pas très loin, « Il a menti à mon père en prétendant être le roi de cette montagne, et il lui a menti en disant que si je l’accompagnais, j’aurais de bonnes choses épicées à manger. » En parlant, elle prit une serviette pour essuyer le petit tigre tout propre, qui lutta avec insatisfaction, poussant des petits cris.

« J’ai entendu les gens au village dire que l’ancêtre de Hao DaDao était vraiment le roi de la montagne. » Mu HanZhang prit le petit tigre tout propre. Il baissa la tête pour le regarder. Sa fourrure jaune et noir en alternance était encore humide. Peut-être parce qu’il avait bien mangé avec sa mère avant, mais même s’il n’avait rien mangé depuis un jour, il était encore bien rond, et il le regardait avec ses grands yeux ambrés : « Ouaf! »


[1] À l’époque, les pièces pouvaient s’enfiler sur un ruban, formant une chaîne. Une chaîne équivalait à 100 pièces.

[2] Un titre respectueux pour une femme mariée plus âgée

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