Romans, Souillé
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Chapitre 2 – Souillure

Traduction anglaise par seal

Traduction française par Tian Wangzi


Il était la plus grande salissure

de sa vie.


C’était le soir, et la fine neige voletait à la frontière de Chonghua, s’accumulant graduellement en une couche blanche et pure sur le sol. Des roues l’écrasaient, et des piétons passaient sur la voie, laissant plusieurs lignes de différentes épaisseurs tracer leur chemin.

Wang Ermazi, qui vendait ses petits pains fourrés, mettait tout son cœur pour attirer l’attention des passants malgré la buée blanche que formait son souffle. Il criait d’une voix forte : « Approchez, tout le monde, pains fourrés frais, tout juste sortis du four! »

En criant, il frappa sur le vieux gong usé accroché au four, continuant à vendre ses produits : « Il n’y a presque rien dans ce monde plus épais que mes pains fourrés – à part le visage de Gu Mang![1] Venez et achetez-en une! Venez, approchez tous! »

Les passants l’écoutaient, riant intérieurement.

Ce vendeur de pains fourrés était en affaires depuis plus de dix ans, et quelques années plus tôt, Wang Ermazi avait un discours différent. À l’époque, ce qu’il criait à plein poumon était : « Venez jeter un œil! Ce sont les pains fourrés préférés du général Gu! Je vous garantis qu’après une bouchée, vous serez aussi invincible que lui et vous monterez dans les rangs! »

Dans le vent et la neige, une forte cavalerie militaire trottait lentement, menée par un jeune homme d’environ 17 ou 18 ans. Avec un chapeau en brocart couleur sable ornementé de fourrure sur la tête et son beau petit visage enveloppé dans un épais col de laine, il semblait très peu enthousiaste.

Ce jeune homme s’appelait Yue Chenqing, c’était le général adjoint de la garnison.

Il possédait deux caractéristiques qui laissaient tous les autres dans la poussière. La première était facilement visible et représentait l’expression : « Si les autres se fâchent, je resterai de marbre, car si la colère devait m’aliter, on ne peut me remplacer. Qui se réjouirait de ma colère? Une blessure au cœur est un boulet au pied[2]. » Yue Chenqing, qui était profondément investi dans cette philosophie, n’avait presque jamais éprouvé la colère. Il avait le meilleur tempérament parmi tous les jeunes maîtres.

La seconde était de toujours se mettre aussi confortable que possible. Alors, s’il pouvait s’asseoir, il ne se lèverait pas, et s’il pouvait rester couché, il ne s’assoirait pas. L’expression favorite de Yue Chenqing était : « S’il y a du vin aujourd’hui, autant le boire, s’il n’y en a pas demain, empruntes-en à un frère. » Résultat, il ne gardait jamais rien d’important pour le lendemain – le vin était bu la journée même, et les femmes étaient d’abord entraînées dans son lit, laissant la discussion pour plus tard.

Alors, pour les patrouilles……. D’abord, il jouait, puis il patrouillait.

Il y avait plusieurs bazars dans la forteresse frontalière Beiguan, la plupart vendant des peaux d’animaux, des herbes médicinales, des pierres spirituelles, des esclaves, ce genre de choses. Ce n’était pas vraiment intéressant, mais pour les troupes dans le froid mordant, c’était une bonne façon de passer le temps.

 « Je veux cette civette à sept queues. »

 « Va acheter les plumes de la queue de cette ubume[3]. »

« La qualité des virevoltants vendus ici a l’air plutôt bonne, ça fera un médicament efficace. Je vais en prendre dix paniers. »

En marchant, il ordonna aux domestiques qui le suivaient de l’aider à acheter de nombreux articles au bazar, négligeant complètement son devoir. Alors que les domestiques avaient quelques réserves, s’opposer au général adjoint n’était pas quelque chose de facile à faire dans leur situation.

Alors qu’il marchait, Yue Chenqing sentit son estomac grondé, alors il regarda aux alentours pour trouver quelque chose à manger. C’est à ce moment qu’il entendit les cris de Wang Ermazi un peu plus loin, le son de la voix enrouée et le bruit métallique du vieux gong usé voyageant dans le vent et la neige :

« Je vends des pains fourrés! Ils sont aussi épais que la peau de Gu Mang! Approchez, jetez un œil! »

Lorsque Yue Chenqing entendit son discours de vente, le coin de ses lèvres tressaillit, et il pensa : « Bon sang, cette personne a osé utiliser Gu Mang comme une blague! Est-ce que c’est vraiment acceptable? Il va s’attirer des ennuis! »

Alors qu’il se disait cela, il pressa immédiatement son cheval vers l’avant, et lorsqu’il ouvrit la bouche pour le réprimander, la forte odeur de pains frais se porta à son nez. Les dures critiques qu’il s’apprêtait à lui lancer furent ravalées en même temps que la salive qui commençait à couler.

Ses critiques se changèrent pour : « …Je vais en prendre un. »

 « Tout de suite! » Wang Ermazi attrapa lestement un pain dans le four, l’enveloppa dans un sac en papier et le passa au client devant lui. « Tenez, faites attention, c’est chaud. Vous devez le manger avant qu’il refroidisse! »

Yue Chenqing attrapa le pain brûlant et prit une bouchée. Avec un croc, le pain doré croustillant explosa en couches de saveur de l’intérieur, le goût de l’huile chaude, du son de blé, de la viande hachée et des grains de poivre du Sichuan fondirent sur sa langue, imprégnant immédiatement sa bouche de l’odeur fragrante du pain grillé, le forçant à avaler goulûment sa salive.

Il ne put s’empêcher de le complimenter : « La saveur est excellente. »

« Bien sûr qu’elle l’est. Les petits pains fourrés d’Erma sont réputés pour être les meilleurs sur Terre. » Wang Ermazi se venta avec fierté : « Même quand Gu Mang avait bonne réputation à l’époque, chaque fois qu’il rentrait du champ de bataille, il accourait vers mon étalage pour en manger cinq ou six! »

Après avoir terminé de chanter ses propres louanges, il n’oublia pas d’ajouter furieusement : « Mais si j’avais su que cet homme nommé Gu se révèlerait être un traître, j’aurais mélangé du poison dans les pains que je lui ai vendus, je nous aurais débarrassés de lui au plus tôt pour le bien de l’humanité! »

En mâchant son pain, Yue Chenqing répondit : « Ne fais plus ces remarques irresponsables à l’avenir. D’ailleurs, ton discours de vente, tu devrais le changer au plus vite. »

Wang Ermazi écarquilla les yeux : « Junye[4], pourquoi cela? »

« Tu devrais juste obéir respectueusement à ce que ce ‘Junye’ te dit. » Yue Chenqing prit une autre large bouchée du pain à la viande, et avec les joues gonflées, il ajouta : « Nous allons bientôt partir en guerre contre le pays Liao, et je crains que nos troupes doivent rester ici pendant quelques années. Si tu continues à jacasser à propos de Gu Mang comme ça toute la journée », il ricana malicieusement, « héhé, tu devrais faire attention à ne pas toucher la corde sensible de son Excellence. »

Cette « Excellence » auquel Yue Chenqing faisait référence était bien sûr leur chef, le général Mo Xi.

Mo Xi, qui avait reçu le titre de Xihe-jun[5] par l’empereur précédent, était né dans la noble famille du clan Mo. Il était un des quatre généraux de la famille, les trois autres étant ses deux grands-pères ainsi que son propre père. Descendant d’une lignée aussi prestigieuse, Mo Xi possédait naturellement un talent spirituel extrêmement terrifiant, et en plus, il avait étudié sous le doyen le plus impitoyable à l’Académie du Perfectionnement. À l’époque actuelle, il était considéré comme le meilleur général de Chonghua.

Et avec tout ça, il n’avait que 28 ans.

Comme le reste de sa famille, la personnalité de Mo Xi était aussi froide qu’une lame, et il gardait toujours sa parole. Son père lui a souvent répété : « La tendre vallée[6] enterrera ton héroïsme. Moins de drague, plus de travail. » Ainsi, le cœur de Mo Xi était toujours resté pur, sans désir lascif, et son caractère était excessivement intègre. On disait même que dans les 28 dernières années, il n’avait jamais fait une seule erreur majeure.

Excepté Gu Mang.

Pour Mo Xi, Gu Mang était comme une tache d’encre sur le papier, de la boue sur la neige, une goutte de sang provocatrice sur le matelas immaculé et ordonné d’un gentilhomme.

——Il était la plus grande salissure de sa vie.

La nuit tomba.

Dans la base à l’extérieur de la forteresse, une lamentation brisa la tempête, une voix lyrique flottait dans l’air, portée doucement par le froid mordant comme un fantôme.

« …La pluie forme des bassins à Yuming. Les cieux sont clairs au pavillon de l’arbre doré. Personne n’espère la fin des chansons d’amour et du vin, même en observant la fourmi. Le cœur est touché[7]. »

Le garde en fonction près du camp du général adjoint jeta un coup d’œil à droite et à gauche comme une caille, remarquant finalement au loin une grande silhouette noire approchant, et son expression changea immédiatement. Il ouvrit la tente en coup de vent et dit : « Ça ne va pas! »

 « Qu’est-ce qui ne va pas? » Yue Chenqing bâilla et leva les yeux en restant sur le siège du général, soutenant son visage avec une main.

 « Bon sang, vous avez remarqué l’heure? Général adjoint, vous devriez vous dépêcher pour aller garder la forteresse, cessez d’écouter la pièce. »

 « Pourquoi une telle urgence? » commenta Yue Chenqing paresseusement, « il ne sera pas trop tard pour y aller après le spectacle. »

Après avoir renvoyé son garde, il se retourna vers les chanteurs d’opéra dans la tente et dit : « Ne vous occupez pas de nous, je vous en prie, continuez à chanter. »

Alors, le rythme lyrique qui était comme un fin fil de soie suspendu par les cieux reprit : « La nation se leva avec le Yin. Le vent souffla les pétales aux coins de ses yeux. Qi Xuan enseigna encore les écritures incomplètes pour demander au vent de l’est lorsque nous nous réveillerons de ce rêve. »

 « Oh, je vous en prie, général adjoint Yue, monsieur! Empressez-vous de leur demander d’arrêter de chanter. » Le garde se pressait à le supplier : « Mais qu’est-ce que c’est que tout ça? »

 « La vie est bien trop courte et misérable, laisse nous en profiter et vivre dans le présent. » Yue Chenqing grignota ses ongles. « Sinon, ces jours seraient bien trop ennuyeux. »

 « Mais si Xihe-jun devait voir ça, il serait sans doute encore en colère… »

 « Xihe-jun n’est même pas là, pourquoi tu es aussi inquiet? » Yue Chenqing ricana : « En plus, ce Xihe-jun a toujours l’air mécontent, et il ne cherche jamais à profiter de la vie ou à s’amuser. Il est déjà si vieux, mais il se fâche encore quand je fais une blague vulgaire. Tu ne trouves pas que c’est épuisant pour moi de toujours essayer de lui plaire? »

 « Général adjoint », le garde avait l’air sur le point de pleurer. « Baissez un peu la voix, s’il vous plaît… »

« Hm? Pourquoi? »

 « Par… parce que… » Les yeux du garde se retournèrent vers l’entrée de la tente. Il continua à bégayer : « Parce que… »

Yue Chenqing gigota dans son siège, couvrant même sa tête avec le manteau de fourrure argenté de Xihe-jun, et ricana : « Est-ce que Xihe-jun t’a terrorisé à en perdre la voix? Pourquoi bégaies-tu quand on le mentionne? »

 « Ah, mais quel homme, ce Xihe-jun. » Yue Chenqing poursuivit : « Il veut s’abstenir de désirs sexuels, mais il traîne toute son armée dans l’ennui avec lui. Regarde notre armée, il n’y a même pas une seule pute en vue. »

C’était la vérité. De toutes les armées de Chonghua, c’est les troupes de la division de Xihe-jun qui souffraient le plus.

Même s’il y avait peu de plaintes sur la nourriture et les dépenses d’habillement sous la gouverne de Xihe-jun, comme Yue Chenqing le disait, le général était à la fois ennuyant et sérieux. Ça irait s’il était le seul à être inhumain et incapable d’apprécier la beauté, mais il ne permettait pas non plus à ses subordonnés de chercher la compagnie de femmes pour s’amuser.

Yue Chenqing trouvait clairement cette pensée extrêmement amusante, mais il réprima son sourire et prétendit ne pas être touché, laissant échapper en soupirant : « Il est une bonne personne dans tous les sens du terme, mais son désir de contrôler est trop fort. Écoute, son trouble de l’anxiété et sa mysophobie l’ont complètement consumé, et il n’a vraiment aucun intérêt. C’est gaspiller son beau visage. »

Le garde avait l’expression d’un condamné à mort sur le visage, et il dit rapidement : « Yue-gongzi[8], veuillez arrêter de parler… »

Non seulement Yue Chenqing ne s’arrêta pas, mais au contraire, il était encore plus enthousiaste : « Regarde-toi retenir ton souffle, est-ce que ta bouche a commencé à te brûler? Héhé, pendant qu’il n’est pas là, je vous libère. Ce soir, partons entre frères et allons trouver des femmes pour nous amuser en abolissant la garde à l’entrée. Organisons un concours de beauté autour du feu, je veux récompenser la plus belle fille du village… »

« Qui vas-tu récompenser? »

Soudainement, une voix d’homme profonde, froide et rude sonna, secouant la tente, et un grand homme en armure argenté aussi froid que le givre entra.

Il se tenait haut et droit dans son uniforme militaire, les épaules larges et la taille mince, et ses longues jambes étaient chaussées de bottes militaires en cuir noir. Lorsqu’il leva les yeux, tous les beaux traits de son visage étaient froids et rigides, son regard glacial et aiguisé comme une lance.

Cette personne n’était nulle autre que le Xihe-jun que Yue Chenqing s’amusait à ridiculiser à l’instant, Mo Xi.

Pourquoi était-il soudainement de retour?!!

Yue Chenqing fut d’abord stupéfait, puis après s’être repris, il commença à trembler, s’enroulant davantage dans le manteau de fourrure.

 « Général Mo. » Le général adjoint Yue prit une apparence misérable et pitoyable, se lamentant : « Si vous prévoyiez rentrer plus tôt, vous auriez dû nous le dire — aïe! »

Ce « aïe » était parce que Mo Xi trouvait ses lamentations trop exécrables, alors il avait invoqué son épée spirituelle, la pressant contre la joue de Yue Chenqing, avant de la laisser tomber.

Yue Chenqing, qui avait presque été décapité, se redressa rapidement sur le siège du général, retirant ses mèches en bataille de ses joues, et dit : « Xihe-jun, vous auriez pu juste me frapper! »

 « Tu me le demandes, mais je ne t’ai pas encore posé de questions. Dis-moi, pourquoi y a-t-il des femmes dans notre base? »

Mo Xi jeta un regard vers les chanteurs d’opéra qui étaient trop effrayés pour continuer à chanter, puis il tourna la tête et jeta un regard accusateur à Yue Chenqing. « Les as-tu fait venir? »

Yue Chenqing voulait au départ marmonner encore quelques phrases, mais en voyant l’expression de Mo Xi, il se figea immédiatement de peur. « …Ne vous emportez pas. J’écoutais seulement une chanson, une chanson célèbre de la nation LiChun. Xihe-jun, pourquoi ne pas vous joindre à nous et regarder un peu…? »

L’expression de Mo Xi devint grave, et il déclara avec agacement : « Obscène. Faites-les sortir. »

Heureusement, il n’avait pas demandé leur décapitation.

Yue Chenqing serra les genoux, sanglotant pathétiquement sur le siège du général en gémissant misérablement : « Vous êtes tellement glacial et sans cœur. Je vais dire à mon père que vous ne m’avez pas bien traité. »

Mo Xi lui lança un regard et dit : « Tu peux partir aussi. »

Yue Chenqing : « ……. »

Mo Xi attendit que Yue Chenqing, affligé, quitte la tente, puis il s’assied seul. Il retira ses gants en cuir de dragon noir, puis il pressa ses doigts élancés contre ses tempes, fermant lentement les yeux.

Illuminé par la lumière d’une bougie, son teint semblait un peu pâle, portant même une légère trace de bleu maladif. Avec le caractère impitoyable caché au plus profond de ses yeux à longueur d’année, il avaitt même l’air un peu épuisé.

Il semblait avoir beaucoup de préoccupations.

Peu de temps auparavant, il avait reçu une lettre secrète de la capitale impériale de Chonghua écrite personnellement par l’empereur actuel. Après avoir reçu la lettre, Mo Xi l’avait relue trois fois avant de confirmer qu’il ne s’était pas trompé.

Gu Mang rentrait à Chonghua.

La lettre était présentement à l’abri dans ses robes, fermement blottie contre le cœur débattant de Mo Xi et réchauffée à la température de la poitrine de l’homme. Gu Mang rentrait à Chonghua — Cette nouvelle était comme des épines dans son cœur, chacune le transperçant de douleur.

Mo Xi fronça les sourcils et fit de son mieux pour calmer son anxiété, mais en fin de compte, le feu démoniaque dans sa poitrine continuait de se déverser indéfiniment. Il ouvrit soudainement les yeux, et avec un bruit sourd, il envoya un coup de pied sur les dossiers devant lui.

Crash.

« Oh, non, général Mo! » Le garde en fonction à l’extérieur de la tente s’empressa de jeter un œil à partir de l’entrée, plaidant craintivement : « Calmez-vous, s’il vous plaît. Yue-gongzi est encore jeune, et son amour pour le plaisir et les ennuis est dans la nature humaine. C’est notre faute, les gardes, si nous n’avons pas pu bien gérer la situation et n’avons pas réussi à l’empêcher de regarder l’opéra. Si vous voulez nous blâmer et nous punir, n’hésitez pas à le faire, mais ne vous fâchez pas ainsi… »

Mo Xi se tourna soudainement, et dans la faible obscurité, ses yeux s’illuminèrent comme des flammes.

« Dégage. »

« … »

« Personne n’a le droit d’entrer sans mon consentement. »

« Oui, monsieur…»

La toile de la tente retomba, et c’était terriblement silencieux autant à l’intérieur qu’à l’extérieur, avec seulement le sifflement du blizzard venant du nord, le distant mouvement des soldats en fonction, le craquement des bottes militaires dans la neige, et le hennissement des chevaux de guerre au camp des bêtes spirituelles.

Mo Xi inclina la tête de côté, regarda au sol et remarqua les mûres qui avaient roulé jusque-là, elles ressemblaient aux têtes que Gu Mang avait arrachées de ses propres mains au fil des ans.

Il se demanda comment quelqu’un qui a commis autant d’atrocités, autant de mal et de mauvaises actions, qui avait trahi son pays, ses camarades, ses amis proches, qui portaient maintenant la pire des réputations, la dette du sang, et qui avait une haine si profondément enfouie, avait encore le courage de revenir.

Comment Gu Mang avait-il le culot de revenir?

Mo Xi ralentit ses pensées un instant, se forçant à se calmer, et une fois de plus, il sortit la lettre secrète qu’il avait lue et relue jusqu’à ce qu’elle soit abimée. Dans l’écriture élégante de l’empereur, il était écrit :

Le pays Liao compte signer une trêve avec notre pays. Pour montrer leur sincérité, le traître de notre pays, le général Gu Mang, nous sera retourné sous escorte.

Gu Mang était un citoyen de Chonghua auparavant, et c’était un homme de confiance, mais il n’a pas pensé à rester loyal et à rembourser ses dettes, commettant une trahison pour son gain personnel. Dans les cinq dernières années, il a pillé des villages de son pays d’origine, détruit la paix de notre nation, massacré ses anciens camarades et abandonné ses vieux amis et parents. Je crains qu’il soit difficile de pardonner ses péchés.

Dans dix jours, Gu Mang rentrera à la ville pour payer pour ses crimes, la haine pour lui étant grande et profonde. J’ai bien peur que ce ne soit pas une décision que je puisse prendre seul, j’ai donc écrit à chaque noble pour discuter du problème ensemble. Même si je sais que Xihe-jun est loin à GuanShan, en tant qu’homme en qui j’ai personnellement confiance, je sollicite sincèrement votre présence, veuillez s’il vous plaît ne pas négliger vos responsabilités.

Prenez soin de vous.

Mo Xi fixa la lettre pendant quelque temps, puis ricana soudainement, riant pour lui-même. Une expression un peu amère, un peu haineuse prit lentement place sur son visage.

Cet homme était accusé d’un grave crime, la trahison, y avait-il même une raison de lui permettre de continuer à vivre?

Il méritait d’avoir chacun de ses membres écartelés et arrachés par des chevaux, ou bien d’être coupé en deux à la taille, d’être bouilli à mort comme une chenille, ou de mourir par le supplice des mille coupures.

Il méritait d’être tué!

Pensait-il amèrement.

Il méritait d’être tué.

Mais alors qu’il leva son pinceau pour écrire le mot « tuer », sa main trembla sans pouvoir compléter le caractère, et l’encre imprégna la soie du rouleau.

À l’extérieur de la tente, le léger son d’un tao xun[9] s’éleva. Il n’est pas dit quel petit démon nostalgique et épuisé décida de jouer ses peines, emplissant l’air du camp d’un sentiment morne, le sol recouvert de gel blanc.

Le cœur de Mo Xi se mit à battre fort, anxieux, et ses yeux sombres brillèrent d’une lumière inexplicable. — Au final, il jura, repoussa le pinceau devant lui et prit la lettre secrète, des flammes jaillissant soudainement de sa paume, la réduisant en poussière.

Les grains de cendre dispersés volèrent dans les airs, et Xihe-jun souffla dessus, transformant les cendres en un papillon de transmission du son à longue distance.

 « C’est ce subordonné qui avait recommandé Gu Mang comme soldat. Puisqu’il a commis un acte de trahison, ce subordonné doit en porter le blâme. Pour le jugement, afin d’éviter de lever des soupçons, ce subordonné ne doit pas être impliqué. » Après une pause, il ajouta d’une voix basse et sans presse : « Mo Xi de la frontière du Nord, souhaite la santé de Sa Majestée. »

Il leva la main dès qu’il eut terminé, et le papillon s’envola au loin.

Il regarda l’endroit où le papillon avait disparu et pensa : « Génial, la poussière va enfin retomber après dix ans de fuite et de confusion avec Gu Mang. » Il avait tué tellement de soldats de Chonghua, il avait causé du souci aux citoyens. Maintenant, il est rejeté après avoir servi son but, et le pays ennemi le retourne après l’avoir exploité. Ce serait étrange si les officiers civils et militaires à la capitale impériale ne s’empressaient pas de l’exécuter.

Malheureusement, il devait encore garder la frontière pour les deux prochaines années, alors il ne pourrait sans doute pas voir l’exécution de Gu Mang.

Il ferma lentement les yeux, et même si son visage ne montrait aucune émotion, ses ongles étaient profondément enfoncés dans ses paumes.

Tout était terminé.

Ils étaient de vieux amis sur des chemins séparés, isolés et étrangers. Une fois réunis, même si les choses étaient restées les mêmes, ils avaient eux-mêmes changé.

Mais c’était quel genre d’émotion? Peut-être quelque chose que les autres ne comprendront jamais.

Mo Xi s’assied de façon léthargique, et dans la tente militaire désolée, son visage fut lavé par l’épuisement.

Au final, il n’avait pas pu empêcher Gu Mang d’emprunter la mauvaise voie.

Ennemis, amants, rivaux.
Ce qu’était la relation entre eux restera non précisée dans les livres d’histoire à venir.

Peut-être que personne d’autre dans ce monde à part eux ne saura jamais leur secret extrêmement sale et excessivement érotique. Le fait que ces deux-là, même s’ils semblaient être des ennemis irréconciliables——

——avaient déjà couché ensemble.

C’est exact.

Des années plus tôt, ce Xihe-jun qui respecte l’abstinence et les règles avait poussé Gu Mang sur son lit et l’avait férocement ravagé. Cet homme frigide avait perdu toutes ses manières avec Gu Mang, la sueur s’écoulant sur sa poitrine, le désir polluant ses yeux.

Et Gu Mang, qui avait réprimandé le Ciel et la Terre, qui se baignait dans les feux de la guerre? Il avait été baisé si intensément par Xihe-jun qu’il en avait versé des larmes, les lèvres gentiment ouvertes pour supplier le général Mo de l’embrasser, et avait laissé Mo Xi laisser de profondes marques mauves sur corps fort et ferme.

Ils étaient des ennemis mortels, et leur haine était aussi profonde qu’un ravin, leurs destins se mélangeaient dans la mort.

Mais avant ça, à cette époque avant que leurs chemins ne se séparent—

Ces deux jeunes s’étaient passionnément enchevêtrés l’un dans l’autre. Jusqu’à ce que leur amour et leur désir soient entrelacés. Jusqu’à ce qu’il soit impossible de les séparer.


[1] En Chine, c’est une expression qui fait référence à la capacité de résister aux critiques ou de maîtriser sa colère. Quelqu’un qui a une peau épaisse rougit moins facilement sous la colère ou la honte, comparativement à quelqu’un qui a une peau plus mince qui montre facilement les émotions sur son visage.

[2] La traduction a été adaptée pour rester dans le ton poétique de départ. L’expression chinoise originaleest 别人生气我不气,气出病来无人替。我若生气谁如意,况且伤神又费力。Elle indique qu’en restant calme au lieu de se mettre en colère, on évite les conflits et les conséquences.

[3] Une Ubume est un yokai japonais, souvent une femme qui est décédée en donnant naissance.

[4] 军爷 Titre pour un homme militaire respecté, prononcé Jūn yé

[5] 羲和君 Xihe-jun est un titre fictif. Le premier caractère, Xi, peut être une référence à Fuxi, un héros de la mythologie chinoise. He est le caractère de la paix. Et Jun est un titre respectueux similaire à Lord ou Seigneur.

[6] Un euphémisme pour un quartier de prostitution

[7] Provient de la pièce A Dream Under the Southern Bough

[8] 公子 Un terme pour s’adresser aux fils de la noblesse.

[9] Un instrument traditionnel chinois qui ressemble à un ocarina

2 commentaires

  1. Avatar de Papillon
    Papillon dit

    Très bonne traduction, ça rend la lecture agréable !
    Sacré caractère ce Mo Xi haha

    Par conte concernant qui est au dessus et qui est en dessous, je pensais que ce serait l’inverse.. Belle surprise haha

    Ce n’est que le chapitre 2 mais on a envie de continuer pour en savoir plus , donc c’est un bon début 🙂

    • Avatar de Tian Wangzi

      Merci beaucoup!
      Mo Xi est… quelque chose! Mais ce couple reste toujours intéressant, qui ne va qu’en s’améliorant! L’auteure crée des chefs-d’oeuvre et ça me fait plaisir de pouvoir les partager!

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